« Lou Doillon s’en prend à Beyoncé et Nicki Minaj dans une interview à El Pais »
me dit le Huffington Post, ce matin…Intriguée, connaissant les trois protagonistes, je clique. Quelle fut ma surprise quand j’ai compris que les reproches de Lou Doillon portaient sur le féminisme, ou plutôt l’usurpation féministe de Beyoncé et Nicki Minaj.
Je vous re-situe le contexte:
« Il faut dire que la fille de Jane Birkin s’affirme comme une féministe engagée et promeut l’émancipation des femmes par rapport aux hommes. “Quand on pense à Jane Birkin ou Françoise Hardy, on les considère comme des femmes libérées. En réalité, elles ne l’étaient pas, elles le faisaient seulement paraître”, raconte-t-elle. Et d’ajouter: “Je pense que ma génération est la première à être vraiment libre”. La chanteuse de 32 ans s’enorgueillit d’ailleurs de pouvoir “foutre un mec dehors” car elle dispose de son propre salaire et d’une maison à son nom. » nous dit le Huffington Post.
“Quand je vois Nicki Minaj et Kim Kardashian, je suis scandalisée”, s’exclame-t-elle. “Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string.” La jeune femme s’en prend notamment à la chanteuse américaine Beyoncé qui “chante nue sous la douche”. “On me dit que je n’ai rien compris, que c’est une vraie féministe parce que dans ses concerts il y a un énorme écran qui le dit. C’est dangereux de croire que c’est cool”, prévient-elle. Pour l’interprète française, un tel comportement de la part des célébrités pourrait s’apparenter au Syndrome de Stockholm. “Comme les mecs ne nous tapent plus sur le cul, nous nous le faisons nous-même. Comme personne ne nous appelle ‘chienne’, nous nous appelons comme ça entre nous.” Lou Doillon regrette finalement que “les gens prennent ça à la légère”.
Et enfin, au sujet de Beyoncé: « Elle n’en reste pas moins une femme qui chante des chansons écrites pour des hommes et qui répondent à un fantasme masculin. Ça me dérange que les gens prennent ça à la légère. Aujourd’hui tout le monde est si cynique et ironique… »
Et un petit florilège de commentaires:
« Eh bah voyons, ça met son corps à la disposition d’une marque de fringues et ça casse du sucre sur celles qui s’exhibent pour vendre des disques. Vous avez toutes la même liberté cocotte, faut pas confondre féminisme et bon goût. » (eh bim sur Lou Doillon)
« On a le féminisme sélectif chez Lou Doillon!! Elle n’a pas été la dernière a se promener en tenue légère ds certains films ou à poser ds Playboy…Le féminisme c’est bien autre chose que taper sur les « collègues » en affirmant « moi je suis mieux! Je suis libre! »…Mais de quelle liberté parle Lou? Elle est comme les autres, elle lie son image à une marque de sapes, elle fait la promo de son prochain disque pour qu’il se vende, pour garder sa maison et la possibilité de « foutre un mec dehors si ça lui chante » (dixit). Des milliers et des millions de femmes font la même chose, avec un job moins glamour et moins d’argent à la clé…alors les états d’âme de Lou Doillon et ses pseudo-combats quant à ce que fait Béyoncé (qui fait bien ce qu’elle veut!)…moi, ça m’amuse! » (et re-bim)
« LOU vous avez raison , je suis contente que , grâce à votre notoriété et votre talent, vous puissiez dire au monde ce que je pense depuis longtemps et je crois beaucoup d’autres femmes , en particuliers celles qui ont conquis tant de droits .Trop de femmes sont maintenant dans l’indécence ,ignorantes de ce que depuis 50 ans nous avons obtenu et que bien des femmes n’ont pas encore dans le monde , Quel valeur a notre corps pour l’être aimé si nous l’offrons dans toute sa nudité et dans des poses suggestives au monde entier ? Pour moi ce genre de nudité supprime tout érotisme ,elle ne peut que conforter l’irresponsabilité des voyeurs ,en général des hommes, vis à vis de leurs compagnes. » (et bim sur… les femmes nues ?)
« Je suis entièrement d’accord avec elle ce degré de vulgarité ce n’est plus possible. » (et bim sur la vulgarité)
Tout ça pour vous montrer que les réactions aux paroles de Lou Doillon sont loin d’être unilatérales (à défaut d’être sensées? Je vous pose la question). Tout comme les miennes, d’ailleurs. Lou Doillon m’a offert ici une bonne opportunité de me poser pleiiiin de questions, qui sont…
(Warning: vous ne trouverez pas ici un avis tranché sur la question, et si avis il y a, il ne reflète que ma toute petite pensée personnelle sans prétention)
- « Lou Doillon s’affirme comme une féministe engagée ». Là j’ai juste envie de dire GO GIRL. Non mais vraiment, avoir des artistes, des personnalités qui se déclarent féministes/pro-féministes, ce n’est pas si courant en France (malheureusement). Donc pour ça, je dis merci, Lou. L’article du Huffington Post affirme également qu’elle « promeut l’émancipation des femmes par rapport aux hommes », et là, je suis un peu moins convaincue. Je ne sais pas si c’est légitime, mais si l’auteure de l’article affirme cela juste par rapport à ses récentes déclarations, je tique un peu.
- “Quand on pense à Jane Birkin ou Françoise Hardy, on les considère comme des femmes libérées. En réalité, elles ne l’étaient pas, elles le faisaient seulement paraître”. Honnêtement et peut-être à tort, je dois avouer quand je pense à des femmes libérées des années 70 ou 80, je ne pense pas forcément à ces deux-là (à qui pense-je? bonne question). Mais, comme je l’ai dit, c’est peut-être à tort. Néanmoins, je peux comprendre la réaction de Lou Doillon, si sa mère lui a déjà dit que son image de femme libérée de l’époque était fausse. Mais a-t-elle posé la question à Françoise ? Et dès lors, qu’est ce qu’une femme libérée, aujourd’hui et dans les années 70 et 80 ? J’avoue qu’il m’est très difficile de donner une réponse simple et courte à cette question, car pour moi, être une femme libérée peut correspondre à tellement de choses, trop de choses d’ailleurs, pour affirmer péremptoirement à la place de quelqu’un un statut de femme libérée ou non. Bref, je suis mitigée sur ce point.
- “Je pense que ma génération est la première à être vraiment libre”. Hmmm, laissez-moi réfléchir…Pour le coup, MA réponse est sans appel: non. Partant du fait que je me considère de la même génération que Lou Doillon (à quelques années près), je n’arrive pas à répondre autrement. Sommes-nous plus libres que dans les années 70-80? Je le pense, oui. Mais sommes-nous « vraiment libres »? N-O-N. Quand je vois à quel point l’avortement peut être controversé (et je ne parle pas du mariage homosexuel), quand je sens autant le poids des rôles sociaux genrés sur notre génération ou la génération future (coucou le Dico des Filles!), je ne me sens pas libre. Mais attention, je ne me plains de ma situation, loin de là, je reconnais les avancées faites dans notre société. Mais pour moi, se dire qu’on est vraiment libre, c’est se dire qu’on a tout gagné. Or, j’ai quand même l’impression qu’il nous reste pas mal de pain sur la planche… Et ça me rend vraiment heureuse que Lou Doillon puisse “foutre un mec dehors” car elle dispose de son propre salaire et d’une maison à son nom, et y trouver là le signe la liberté de notre génération, mais moi, je vois surtout comme une marque de confort économique, qui effectivement peut participer à l’indépendance de Lou Doillon, mais pas un marqueur générationnel. Combien de femmes de notre génération n’ont pas la possibilité de « foutre un mec dehors », un mec pouvant être abusif, violent, ou tout simplement un gros lourd, alors qu’elles en ont vraiment envie?
Et là, on arrive la partie la plus difficile à traiter….
- “Quand je vois Nicki Minaj et Kim Kardashian, je suis scandalisée”, s’exclame-t-elle. “Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string.” J’avais déjà dans l’idée de parler du phénomène Nicki, car c’est un personnage qui m’intrigue vraiment et qui ne permet pas de produire un jugement unilatéral, et donc, qui m’intéresse. Mais bref, toujours est-il que Lou Doillon a choisi deux exemples emblématiques, malheureusement, de ce que les genTes aiment appeler « filles vulgaires, « mauvais genre, « mauvais exemple » (à tort selon moi ? SPOILER ALERT : OUI) et surtout deux célébrités tellement faciles à critiquer que ça en devient usant. Mais, moi, ce que j’ai envie de penser, c’est que la grand-mère de Lou Doillon s’est battue pour une chose: la libération de la femme, et en cela j’entends entre autre, montrer son corps si elle le désire. Je ne doute pas que lorsque que Nicki et Kim font des photos dénudées ou « crânent en string », il y a toute une logique marketing cachée derrière, bien huilée, et alimentée par des producteurs hommes qui s’en réjouissent. Mais j’ai envie de leur accorder le bénéfice du doute, j’ai envie de penser que ces femmes qui montrent leur corps, certes d’une façon qu’on peut considérer comme sexualisée (large débat, j’en reparlerai), le font avec fierté, le font parce que, grâce à la grand-mère de Lou Doillon, la société aura un peu appris que les femmes doivent être fières de leurs corps, que ces corps ne sont rien qu’à elles et qu’ils sont beau, et qu’à ce titre, elles ont le droit de le rendre public comme de le garder dans leur sphère privée : elles ont le droit de CHOI-SIR.
Et franchement, « crâner en string », c’est tellement méprisant. Et une critique sonne tellement mieux lorsqu’elle s’éloigne du mépris…
- Beyoncé s’en prend aussi plein la figure: elle “chante nue sous la douche”. “On me dit que je n’ai rien compris, que c’est une vraie féministe parce que dans ses concerts il y a un énorme écran qui le dit. C’est dangereux de croire que c’est cool”. « Elle n’en reste pas moins une femme qui chante des chansons écrites pour des hommes et qui répondent à un fantasme masculin. Ça me dérange que les gens prennent ça à la légère. Aujourd’hui tout le monde est si cynique et ironique… ».
Je crois que Lou Doillon fait référence au clip de Drunk In Love de Beyoncé, où effectivement on la voit nue sous une douche. Là, ça rejoint mon point de vue précédent sur le choix de l’exposition d’un corps ou non. Ceci étant dit, on en vient à un point beaucoup plus problématique pour moi. Peut-être ai-je tort, mais j’ai quand même l’impression que Lou Doillon met en doute le féminisme de Beyoncé, ou plutôt sa capacité à être une bonne féministe au regard de ces chansons. Hmmm… Tout d’abord, je suis très sceptique quant au concept de bon/mauvais féminisme, j’envisage plutôt l’idée que l’étendue des conceptions féministes est juste si grande qu’il est donc facile que certaines soient en contradictions. Mais quand une féministe dit d’une autre que ce n’est pas une, qu’elle n’a pas le droit de prétendre à ce titre, je tique. Je tique vraiment. Surtout que se déclarer féministe, selon moi, ce n’est pas ça qui fait vendre, malheureusement. On peut toujours avancer que Beyoncé n’en est pas à un coup marketing près, mais si elle peut, au moins une fois, pousser un-e de ses fans de se renseigner sur le féminisme, ou alors leur fait comprendre que c’est ok de se déclarer féministe, que ce n’est pas un mot qui fait peur, pour moi; Beyonce aura réussi son pari. En outre, j’ai toujours à l’esprit qu Beyoncé a déclaré dans un documentaire lui étant consacrée qu’elle a une politique d’embauche, au sein de sa compagnie, qui favorise les femmes, qu’elle place aux postes les mieux rémunérés; et qu’elle reprend dans son titre « Flawless » les mots d’une conférence TED de Chimamanda Ngozi Adichie :
« Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer. Nous leur disons : tu peux être ambitieuse, mais pas trop. Tu dois viser la réussite sans qu’elle soit trop spectaculaire, sinon tu seras une menace pour les hommes. »
Ainsi, sans oublier que Beyonce est une pro du marketing et une artiste multi-millionnaire, je pense que dire le féminisme de Beyonce dépasse le fait que le fait que le mot « Feminist » soit écrit sur un écran géant pendant ses concerts n’est pas inconcevable.
Somme toute, cet article est bien loin d’être parfait et complet. C’est beaucoup plus une réaction à chaud pour nuancer des propos.
Et de loin de moi l’idée de nier le féminisme de Lou Doillon, je nous reconnais seulement des désaccords. La seule critique que je puisse formuler d’une façon claire concernerait le mépris que je ressens à travers ses propos. Mais là encore, je me base sur des phrases d’interviews choisies et c’est un ressenti personnel.
Néanmoins, j’aimerais beaucoup avoir un avis d’afro-féministe sur ces déclarations. Bien que je ne me sois pas risquer à une analyse allant dans ce sens, j’ai cru sentir un peu de white feminism en lisant l’interview. Lou Doillon aurait-elle faites les mêmes critiques à Madonna ? Des avis?
Enfin, cette interview m’a donné plein de pistes pour les prochains articles : black/withte feminism, féminisme et pop-culture, Nick Minaj et Beyoncé (oui, elles méritent au moins un article chacune!)… Mais ceux-ci viendront en temps et en heure, car j’ai à coeur de vous pondre des petits (je veux dire immense) article détaillés pour éviter une prise de position manichéenne sur ces sujets, qui selon moi n’apportera rien au débat !
A bientôt 😉
Source: ici, ici, encore ici, ou ici et là
Et un dernier petit conseil de lecture: l’article sur le sujet de Naya Ali